2 janvier 2013

HAUT VOL – Un pickpocket inspire scientifiques et militaires

 

Extrait d’un reportage d’Arte sur Apollo Robbins. DR

Dérober une montre à votre poignet, un portefeuille dans la poche de votre manteau, quelques billets dans celles de votre pantalon : faire les poches est peut-être un délit, Apollo Robbins a choisi d’en faire un art. Installé à Las Vegas depuis 1996, cet Américain de  38 ans gagne sa vie en volant, pour le spectacle, des objets qu’il rend ensuite à ses victimes, que ce soit dans la rue ou dans des salles de spectacle. Une foule est toujours un public potentiel. « Je suis comme un joueur de jazz, résume-t-il dans le passionnant portrait que lui consacre l’hebdomadaire américain The New Yorker. J’improvise avec ce qu’on me donne. » 

Le journaliste auteur du portrait le décrit à l’œuvre dans le hall d’un grand hôtel où sont regroupés une dizaine d’agents commerciaux avec leurs clients. « Robbins se met à flâner dans la foule, souriant, faisant des signes de tête, posant une main sur une épaule, touchant légèrement un coude. De temps en temps, il effleure une poche du bout des doigts. ‘Il a un téléphone portable, des clés, et peut-être un peu d’argent liquide dans sa poche avant’, murmure-t-il en désignant un des hommes. ‘Ce que je fais, c’est dresser une sorte d’inventaire (…) et avoir une idée de qui sont ces gens et de ce que je vais pouvoir faire avec eux’.« 

Après avoir choisi ses victimes, il se présente simplement comme un pickpocket. Puis, une fois qu’il a leur attention, place à la démonstration : à celui-là il subtilise son portefeuille et ses lunettes de soleil, sur l’épaule de cet autre il fait apparaître et disparaître une pièce, pour ce troisième ce sera la cartouche d’encre du stylo pincé sur sa poche de chemise (voir cet extrait d’un reportage d’Arte).

 

 

« Tout est dans la mise en scène de l’attention des gens »

L’homme explique ses techniques en détail. Il y a la précision des gestes, enseignés par de grands-frères délinquants, puis travaillés sans relâche depuis son adolescence pour surpasser des handicaps de naissance. Mais il y a surtout une très fine connaissance du fonctionnement de l’attention humaine. « Tout est dans la mise en scène de l’attention des gens », explique-t-il. « L’attention est comme de l’eau. Ça coule. C’est liquide. Vous créez des tunnels pour la détourner, et vous espérez qu’elle s’écoulera du bon côté. »

C’est cette connaissance, qu’il a eu l’occasion de tester sur chacune des victimes de ses tours depuis quinze ans et donc d’approfondir, qui a fini par intéresser bien au-delà du monde du spectacle et de la magie.

Robbins a d’abord été approché par le département américain de la défense, intéressé par une application militaire des techniques de vol, de manipulation mentale et d’influence comportementale. Le pickpocket devrait ainsi enseigner ses constats et ses méthodes dans un nouveau module de formation mis en place ce mois-ci à l’université de Yale.

« J’ai vraiment beaucoup appris sur le fonctionnement des gens »

Mais l’homme travaille également désormais avec des chercheurs en neurosciences. Après qu’il a déconstruit sa technique dite de « la pièce sur l’épaule » lors d’un congrès de l’association pour l’étude scientifique de la conscience, il a collaboré avec des scientifiques à un livre sur les capacités de l’esprit (Sleights of Mind). Une autre de ses observations a fait l’objet d’une publication dans la revue Frontiers in Human Neuroscience : l’homme a remarqué – et depuis, cette observation a été confirmée scientifiquement – que si l’on déplace un objet d’un point A à un point B suivant un arc de cercle, l’œil humain suit l’objet sans plus se soucier du point de départ de l’objet (A), ce qui est très utile lorsqu’on veut détourner l’attention du point A. Au contraire, si l’objet se déplace du même point A au même point B en ligne droite, alors l’œil aura tendance à jeter de nouveau un regard au point d’origine.

« Pourquoi je vole ? Et pourquoi je rends ce que je vole ? » Une question que Robbins entend souvent. Il répond qu’il voit le fait de voler comme « une métaphore, une expérience qui [lui] permet de jouer avec les comportements humains ». « En regardant en arrière, explique-t-il, je constate que j’ai vraiment beaucoup appris sur le fonctionnement des gens grâce à cette petite expérience qui consiste à les voler. J’ai beaucoup appris de la façon dont ils maintiennent leur attention, dont ils supportent le stress, dont ils font confiance. Alors, quand on me demande pourquoi je vole, je dirais, basiquement, que c’est ma façon de communiquer avec les gens. »