Partir au lof

31 avril 2007 (origine: http://lisbei.blogspot.ch/2007/04/partir-au-lof.html)

Il n’y a pas 500 raisons pour lesquelles d’un seul coup, le bateau part au lof. Ca peut être parce que, lors de la précipitation de la manœuvre d’envoi, l’équipier à la drisse n’a pas hissé le spi jusqu’en haut du mat, ni correctement bordé la tangon… Même 10-20 cm, et toute la prise au vent et donc le poids sont décalés autant vers le bas, et leste donc l’avant… Ou alors, c’est parce que le barreur (ou l’équipier qui a mis la barre sous pilote) est une nouille, et s’obstine à barrer au compas, alors que c’est avec les fesses qu’il faut barrer un bateau sous spi… Ou alors encore, c’est parce toujours ce crétin de barreur pense être plus malin que le vent et la houle réunis, et qu’il s’obstine à ignorer l’une pour trop s’ajuster à l’autre…

Barrer sous spi, c’est avant tout une sensation physique, presque une copulation. Un triolisme, ou l’un des trois est en fait déjà deux… A quatre donc. Parce que barrer sous spi, surtout quand on ne devrait pas parce qu’on est déjà largement au delà des 20/25 nœuds établis, c’est fantastiquement grisant…
Parce qu’on joue avec les équilibres jusqu’à frôler la rupture, parce que c’est cette délicieuse lutte contradictoire entre la houle, qui souvent pousse et soulève le bateau par la poupe (et de trois-quart arrière bien évidemment, parce que sinon c’est moins drôle), le vent qui s’engouffre de toute sa force dans la voile gonflée à éclater et pose un maximum de poids vers l’avant, et le barreur qui, cramponné à son manche, doit à la fois barrer finement au « feeling » du vent pour garder la vitesse au maximum, et en même temps maintenir le bateau de telle façon à ce qu’il accompagne le mouvement de la houle… Le barre est sèche sous la main, le bateau réagit au quart de poil sous les fesses, la coque vrombit sous la vitesse combinée du vent et de la houle et, si on s’y prend bien, c’est un surf sans fin…

Mais parfois, un retour de clapot, une risée légèrement moins forte ou au contraire plus rude, une barre un peu molle, 2 secondes d’inattention et zou… C’est parti pour le grand 8… Un bateau qui part au lof, c’est d’un seul coup la houle et le vent qui poussent de concert le bateau via le spi sur un bord, et vers l’avant. On a beau tenter d’abattre comme un forcené, on tire de toutes ces forces pour redresser le bateau pour le ramener plus près du vent, rien à faire… La barre ne répond plus, et bateau se couche alors sur l’eau. Il ne manque plus que l’eau s’engouffre dans le spi et/ou le cockpit pour que la bateau reste couché, voire commence à prendre l’eau suivant ce qui est ouvert… Avant d’en arriver là, si le bateau fini par se redresser tout seul (et c’est l’immense majorité des cas), on a laissé un beau 8 dans le sillage, ou plutôt un beau S…

Alors voilà. Partie au lof, une fois de plus. Sans pourtant avoir le sentiment d’avoir été trop téméraire ni particulièrement sur-toilée. Partie au lof sans pouvoir rien faire d’autre que subir, la barre inerte dans les mains, juste cramponnée au bastingage, ne pouvant qu’assister au grand « pchouououou » de la galère S. qui s’incline à 35° ou 40°, avant de se redresser brusquement, toute mouillée, toute sonnée, s’ébrouant et bouchonnant bout au vent avant de recommencer à glisser sur les flots…

Et le pire, c’est qu’elle n’a toujours rien compris ni rien vu venir, surtout pas d’une aussi grande ampleur. Des frustrations, de grosses râleries, des énervements, des contrariétés, oui. Mais aussi la certitude que dans ce tas de choses qui m’enquiquinent plus que beaucoup, il n’y a rien d’insoluble. Juste du temps, de l’engagement et de l’énergie. Une longue route, oui, mais rien d’infranchissable. Rien de sans-retour.

Mais rien de nouveau, rien d’assez fort pour déclencher un tel raz-de-marée.

Je ne comprends pas moi-même. D’aucun me suggèrent d’acquérir un régulateur d’allure chimique, afin de brider les hauts et les bas. Mais pour le moment, la terreur de la camisole, soit-elle chimique, reste encore bien plus grande que celle des départs au lof…