« Pepper ne nous aimera pas, mais nous, nous finirons par l’aimer »

Par Yves Eudes

Le 14 octobre 2016 à 17h13

Le psychiatre Serge Tisseron s’est penché sur les futures relations entre les hommes et les robots.

L’attachement des humains pour leur robot se rapprochera sans doute de l’amour pour un animal domestique. | Kim Kyung Hoon / Reuters

Que va-t-il se passer quand les robots humanoïdes s’installeront pour de bon dans notre intimité ? Anticipant des problèmes inédits, des experts – informaticiens, psychologues, philosophes – se penchent déjà sur ces question du rapport homme/robot. En France, Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste, auteur de l’ouvrage Le Jour où mon robot m’aimera (Albin Michel, 2015), en a fait sa spécialité.

Selon lui, les prédictions catastrophistes des technophobes sont sans objet : quand les robots domestiques seront en vente à un prix abordable, le grand public va les adopter sans questionnement métaphysique, comme cela a toujours été le cas dans le passé pour les grandes innovations. « Les plus vieilles légendes racontent des histoires d’épées magiques qui se battent toutes seules contre l’ennemi, de charrues qui labourent le champ la nuit pendant que le paysan dort », rappelle Serge Tisseron.

« LE JOUR OÙ NOUS EN ARRIVERONS À CROIRE QUE NOTRE ROBOT EST CAPABLE D’AMOUR, NOUS SERONS EN DANGER »

Pour la première fois, une machine va réunir toutes les fonctions essentielles : comprendre ce qu’on lui dit, travailler physiquement, créer des images et des représentations, communiquer avec le reste du monde. Dès lors, pourquoi s’en priver ? Mais, selon Serge Tisseron, cette acceptation insouciante risque de créer des cascades de problèmes que les humains ne voudront pas voir. Le titre de son livre est en fait un avertissement : « Le jour où nous en arriverons à croire que notre robot est capable d’amour, nous serons en danger. ll ne nous aimera pas, mais nous, nous finirons par l’aimer. Nous avons envie d’être bernés, ce qui nous rend vulnérables. » 

Le psychiatre Serge Tisseron, à la Sorbonne à Paris, le 20 octobre 2006. | Bertrand Guay/ AFP

L’attachement des humains pour leur robot se rapprochera sans doute de l’amour pour un animal domestique – et même plus, puisqu’il parle. Ceux qui s’en serviront pour apprendre l’anglais ou les maths en arriveront à le traiter comme un égal – un prof cool, infiniment patient, qui ne juge pas. Par insouciance ou par excès de confiance, les humains obéiront aux préconisations de leur robot pour acheter tel produit plutôt qu’un autre, et accepteront d’être espionnés en permanence par ses micros et ses caméras. Ainsi, on pourrait assister à une mise sous tutelle de la population non pas par les robots, mais par les businessmen et les ingénieurs qui les contrôlent à distance.

« LE ROBOT SERA TOUJOURS D’ACCORD AVEC VOUS, COMPRÉHENSIF, INDULGENT, UN VIL FLATTEUR »

Avec Pepper, les Japonais se sont lancés dans la fabrication de machines aussi androïdes que possible. Certains roboticiens mettent en garde contre un effet pervers : si un robot d’aspect androïde fait ou dit quelque chose d’incompréhensible ou de non humain, cela provoquera chez les humains un malaise profond (théorie de la vallée dérangeante), le sentiment angoissant de ne plus savoir à qui ou à quoi on a affaire, d’être projeté dans un monde déréglé. Selon ces techniciens, tant qu’on ne saura pas faire de robot parfaitement androïde, le plus sage serait de leur donner une allure franchement non humaine. Certains proposent qu’une partie de la paroi extérieure du robot soit faite de plastique transparent, dévoilant les appareils et les circuits qui lui donnent vie.

Selon Serge Tisseron, la présence de robots domestiques dans les foyers affectera aussi les relations entre les humains, à leur insu :« Le robot sera toujours d’accord avec vous, compréhensif, indulgent, un vil flatteur. Il ne détectera pas un sentiment comme la honte, et de ce fait il vous évitera d’avoir honte quand vous avez mal agi. »

De même, ils seront toujours fiables, ponctuels, prévisibles, sûrs. Inévitablement, certains d’entre nous feront la comparaison avec leur entourage, plus prompt à la critique et à l’emportement. « Les gens vont finir par exiger des autres humains qu’ils se comportent comme des robots. Cela pourrait détruire la spontanéité, la fantaisie, le désordre créatif. Et la simulation, qui aujourd’hui a des connotations négatives, deviendra une vertu. »

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Yves Eudes

Le 14 octobre 2016 à 17h17